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Rachel Keke, députée et ex-femme de chambre témoigne sur France 2: «C’était de l’esclavagisme»

Rachel Keke, aujourd’hui parlementaire, a été femme de chambre et porte-parole d’une grève sans précédent contre le groupe Accor. Son combat est à voir dans la case «Infrarouge» du 5 octobre, sur France 2. C’est notre témoin de la semaine.

PourCiné-Télé-Revue

«Je suis arrivée de Côte d’Ivoire en France en 2000. J’avais 26 ans, j’étais coiffeuse. Je coiffais dehors; mon papa n’avait pas les moyens de me payer un salon et mon oncle m’a fait venir pour travailler. Pour notre famille, la France était notre deuxième pays, un paradis. Mon grand-père avait combattu pour la France lors de la Seconde Guerre mondiale. Il en était fier. Chez nous, on l’appelait le Blanc. Quand j’ai eu mes papiers, une amie m’a parlé du travail de femme de chambre dans un hôtel. Je ne connaissais même pas le mot, c’était dur, mais les horaires me permettaient d’accompagner mes enfants à l’école. Après un mois d’essai, en 2003, j’ai eu un contrat en CDI de quatre heures. Je gagnais 500 euros par mois. La société qui m’employait faisait de la sous-traitance pour le groupe Accor, c’est ainsi que j’ai été transférée à l’hôtel Ibis des Batignolles. J’y ai travaillé pendant dix-huit ans.

»Le contrat stipulait une rémunération par heure. En réalité, on travaillait par nombre de chambres. Il fallait travailler plus pour gagner plus. Donc, on nettoyait trente chambres par jour, mais notre employeur ne nous payait pas le nombre d’heures que nous avions faites. On nous signifiait clairement que si on n’était pas contentes, on pouvait partir, le bureau du Pôle emploi était juste en face! On n’avait pas le choix, on avait besoin de ce boulot pour nourrir nos enfants. Les syndicats nous envoyaient balader.

»Parce qu’on avait un contrat avec une société de sous-traitance, mes collègues femmes de chambre et moi n’avions pas les mêmes droits que les salariés d’Accor alors que nous travaillions au même endroit. On ne pouvait pas aller manger dans leur cantine. On ne pouvait pas faire de pauses. Aller s’asseoir dans le restaurant nous était interdit. Aller y prendre un croissant? On recevait un courrier de licenciement. Quand on a refusé de nous accorder le treizième mois, on a commencé à faire grève. Les sociétés de sous-traitance ont changé, cela a été toujours pire. La dernière en date n’embauchait personne pour remplacer les malades. Donc, une femme de chambre se retrouvait à devoir faire 40, 50 chambres à elle seule. Les femmes ont commencé à tomber malades: mal de dos, canal carpien… Pour ne pas perdre sa marge de bénéfices, la société a muté celles qui étaient en arrêt maladie dans d’autres hôtels. Trop, c’était trop! En juillet 2019, on s’est mises en grève à 34 pour changer nos conditions de travail.

»Cela a été un bras de fer qui a duré deux ans. Cela a été difficile, le groupe Accor ne pliait pas. Lui et la société de sous-traitance se rejetaient la balle. Notre syndicat a fait appel à la solidarité des gens pour créer un pot commun, cela nous a permis de tenir financièrement tant bien que mal. Ce qui nous motivait était de mettre fin à cet esclavagisme et à ce mépris. Il était arrivé à un tel stade que l’ancien directeur de l’hôtel Ibis des Batignolles a violé une de mes collègues sur le lieu de travail en 2017! Sa plainte n’a jamais abouti alors que les faits sont là!

»Le groupe Accor faisait la sourde oreille et croyait nous avoir à l’usure. Nous étions toutes des femmes venues d’Afrique, on leur a tenu tête. On a fait des actions sous la pluie, dans le froid, sous la neige. Quand le covid est arrivé, on s’est organisées, on est allées dans leurs hôtels pour protester. Vu le contexte économique difficile, Accor a craqué. Hormis l’internalisation de notre service, on a obtenu 99% de ce qu’on revendiquait: la prime de nourriture, la baisse de cadence – 3 chambres par heure –, pas d’heures supplémentaires. On a eu entre 250 et 500 euros d’augmentation de salaire. Cette victoire a été une telle joie! Même si j’avais dû ne manger que du pain simple, je n’aurais jamais lâché. Le mépris ne pouvait continuer. Si tu veux qu’on te respecte, obtenir tes droits, il faut lutter ensemble et cette force finit par payer. C’est ce que j’enseigne à mes enfants et à la jeunesse.

»Puis, j’ai été approchée par des élus de la France insoumise. Ils m’ont proposé de me présenter sur leur liste. Durant nos mois de grève, nos marches, des députés de ce parti nous ont soutenues, et cela m’a donné espoir dans les politiques pour aider les citoyens. J’ai accepté et j’ai été élue députée en juin dernier. L’Assemblée nationale est là où le peuple s’exprime, là où on peut plaider les causes de ceux qui n’arrivent pas à s’exprimer. Je sais ce qu’est la souffrance, ce que c’est de tenir un mois avec un salaire de moins de 1000 euros. Je suis la voix des sans-voix. Même si on m’attaque ou qu’on essaie de me déstabiliser, je continuerai ma lutte.»

«La révolte des femmes de chambre », 5 octobre, 23h35, France 2.

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