Le rappeur liégeois Bakari sort le dernier volet de sa trilogie «Sur Ecoute»: «Le futur du rap belge est à Liège!»
Visuellement inspiré par la série « The Wire », « Sur Ecoute : Saison 3 » du rappeur Bakari est tout à son image, authentique. Digne représentant de la Cité Ardente, le Liégeois de 25 ans nous plonge une dernière fois dans son univers musical avant la sortie d’un projet « plus conséquent ». Entretien.
C’est chez Madame Moustache, à Bruxelles, que Bakari nous a donné rendez-vous pour la release party de « Sur Ecoute : Saison 3 », le dernier volet de sa trilogie. Avant d’interpréter quelques-uns de ses morceaux sur scène, dont le hit « Commando » en featuring avec Tawsen, le rappeur est revenu sur ses inspirations, son récent succès, sa fierté de représenter Liège, ainsi que sur l’importance de son manager dans sa jeune carrière.
Avant de discuter du projet, j’aimerais que l’on parle de trois personnes de ton entourage, à savoir Kris, Frank Luckaz et Mouss Parash. Peux-tu me dire qui ils sont et comment tu les as rencontrés ?
Kris, c’est mon manager et c’est le premier que j’ai rencontré. Il est avec moi tous les jours depuis les quelques années où l’on bosse ensemble. C’est lui qui m’a accompagné depuis le jour où je me suis dit que j’allais prendre le truc au sérieux. Avant, je faisais tout solo. Quand tu es seul, ça n’avance pas et tu n’as pas le temps pour la partie musicale. Après ça, on a rencontré Frank Luckaz sur une émission Tarmac. Il venait de démarrer son label (OTT) et il a kiffé ce que je faisais. Lui, il connaissait Mouss Parash (Hall Acess/Sony) et il me l’a présenté.
Lequel des trois est le plus important dans ta carrière ?
Kris, d’office ! Il était là au départ quand il n’y avait rien, zéro, pas un euro à gratter sur moi. Il a cru au truc. C’est ma base. Des trois, c’est celui en qui j’ai le plus confiance. Je l’ai rencontré à l’école. Après la rhéto, j’ai essayé de faire des études (rires). Je suis resté peu de temps, mais ça m’a permis de le rencontrer. Je dis souvent que je suis allé à l’école pour le rencontrer.
Après ton premier projet « Kaléidoscope » sorti en 2018 et ta signature chez Hall Access/Sony un an plus tard, tu reviens en 2021 avec une série d’EP intitulée « Sur Ecoute », en référence à « The Wire », qui a récemment été élue meilleure série du 21e Siècle. Pourquoi avoir développé le visuel des projets sur cette œuvre ?
Je cherchais des qualificatifs qui revenaient quand l’on parle de ma musique et il y avait le mot « authentique » qui revenait souvent. Je me suis dit que visuellement, le premier truc qui colle et qui me fait penser à ce qu’il y a d’authentique en matière de visuel, c’est « The Wire ». C’était comme une évidence.
Si on est face à face aujourd’hui, c’est pour évoquer le dernier opus de ta trilogie « Sur Ecoute ». Pourtant, il y a 5 saisons dans « The Wire » !
Je n’en ferai pas cinq. Moi, c’est une trilogie et après on commencera les films (rires).
Que dirais-tu à quelqu’un qui n’a jamais vu la série ou qui s’est arrêté après quelques épisodes ?
Déjà, c’est grave de ne l’avoir jamais vue. Je ne sais même pas comment te le vendre tellement que, une fois que tu l’as vue, tu comprends pourquoi c’est la meilleure série au monde. C’est comme si un mec, il avait pris une caméra, il va dans la rue à Baltimore, et il filme ce qu’il s’y passe. Il n’y a pas d’artifices ou de coups de feu qui sont rajoutés, tout est vraiment réel. C’est ça qui est bien avec « The Wire ». Tu vois aussi les deux côtés du truc : la rue et la police. Tous les sujets de l’univers rue sont abordés.
Si on devait comparer la forme de tes projets à « The Wire », on peut constater un contre-pied car plutôt que de retrouver du rap de « gangster », on se retrouve dans un univers artistique très particulier. Comment définis-tu ton style, toi qui as été influencé par 50 Cent d’un côté et par la variété française et la rumba congolaise de l’autre ?
Pour moi, je suis et reste un rappeur. Dans le fond, les textes, les thèmes que j’aborde sont des thèmes de rap. Une fois que tu enlèves les mélodies et que tu ne gardes que les rimes, tu vois que ce sont des schémas de rimes de rappeur. C’est juste que j’ai été influencé par plein de styles musicaux et je me suis permis d’en faire mon truc à moi. Mais ma base, ça restera toujours le rap. J’ai commencé en rappant sur des trucs purs et durs, et c’est par après que je me suis mis dans la mélodie. Je suis un rappeur, c’est juste que le rap a évolué et que ce n’est plus comme avant. Maintenant, il y a certains codes qui ont été cassés. Je suis juste un reflet de ça.
On ressent aussi tes différentes inspirations dans le choix des prod. Comment les choisis-tu et comment écris-tu un morceau ?
Est-ce que j’aime la prod ? Oui ou non, ça ne va pas plus loin que ça ! Je l’écoute d’abord avant d’écrire. Je ne fais pas de topline. C’est bizarre mais, une fois que j’ai la mélodie, j’ai directement les mots qui viennent avec dans ma tête. Ça veut dire que je gratte juste le texte. Comme j’ai dit, moi, j’ai commencé en rappant, donc les toplines, je n’ai pas l’habitude d’en faire. J’écris mon texte et, en même temps, je retiens la mélodie dans ma tête. À chaque fois, je sais quel placement j’ai fait et à quel moment, et une fois que le texte est fini, je vais poser.
On te reproche aussi de souvent chanter dans tes projets. Comment cela t’est venu, toi qui viens du monde du rap ?
Il rectifie : Je ne chante pas tant que ça, je chantonne ! Et répond : Je pense que mon évolution musicale va de pair avec mon évolution personnelle. À l’époque où je rappais pur et dur, j’étais peut-être dans cette mentalité-là. Aujourd’hui, j’ai grandi, je ne ressens plus ce besoin de montrer les crocs. Je peux t’accueillir en souriant et avec du respect pour te raconter mon histoire. C’est le temps, la vie, des choses qui se sont passées qui ont fait qu’à moment donné, j’ai dû prendre du recul et tout s’est très bien emboîté.
La signature chez Sony a-t-elle joué un rôle dans ce changement de comportement ?
Pas tellement. Il n’y a personne qui me dit comment faire mes sons. J’ai signé en 2019, j’avais 23 ans. Je n’étais donc déjà plus un gamin. Je rappe depuis que j’ai 15 ans. Je ne vais pas accepter que, 8 ans plus tard, quelqu’un vienne me dire comment faire quelque chose que je fais depuis toutes ces années. Le produit, je sais comment le faire. Je te le passe, toi, fais ton taffe et vends-le. Mais ne me dit pas comment faire le produit. C’est moi le chimiste, c’est moi qui aie les formules.
Comme tu le disais, on ressent clairement l’authenticité de tes propos à travers tes trois projets. Est-ce important pour toi de rester toi-même et d’être cohérent entre ce que tu vis et ce que tu dis dans ta musique ?
Bien sûr que oui. Après, c’est un parti pris, on n’est pas tous obligé de faire ça. Quand j’écoute mes sons, je n’ai pas envie de me dire que c’est une autre personne qui chante. Il faut que ma mère puisse écouter mes sons. Mes parents, ils me connaissent ! Tout ce que j’ai fait, ils le savent car c’est arrivé chez moi à un moment donné. Ils savent tout et savent très bien que je ne suis pas en train de jouer, d’inventer ou d’exagérer le truc. Pour moi, c’est important parce que j’ai un petit frère. Il écoute mes sons, et je n’ai pas envie de commencer à lui faire le Pablo Escobar. Il me regarde et comme tous les petits frères, je suis son modèle. Si je ne suis pas là pour lui dire « ce que je dis c’est de la merde », il va aller dehors et faire des choses encore pires que moi. Et ça, ce n’est pas intéressant.
Il est vrai que tu parles énormément de la rue, mais jamais de manière glorifiante.
Il n’y a rien à glorifier, il n’y a pas de fin heureuse dans ça. Tenir les murs, prison, allers-retours, un enfant que tu ne vois jamais, tu es dépressif, tu es alcoolique, tu as 30 ans et tu vends des 10 euros… Il y a des mecs qui brassaient avant et qui avaient de grosses liasses, mais la fin est la même pour tout le monde. Sur le long terme, ce n’est pas un pari rentable. Il vaut mieux se ranger et penser au futur, que ce soit dans la musique ou autre chose. Si tu es fort en cuisine, cuisine. Si tu es fort au foot, fais du foot.
Tu évoques également un tas de sujets dans tes morceaux, allant de la déception de tes parents à la facette négative de ta vie sentimentale. Tu dis dans « Changer » : « Je ne vais plus parler, je dirais tout dans mes chansons ». N’as-tu pas peur d’arriver au stade du premier album et de ne plus avoir de nouvelles thématiques à aborder ?
Je trouve que je n’ai rien raconté encore ! Pour moi, ce n’était que de la surface, il y a encore tellement de trucs que je n’ai pas encore dits. Mes parents, par exemple, je n’en ai pas autant parlé que ça. Il y a des petites phases, mais le thème global reste la rue à chaque fois. Je te parle juste des personnages qui gravitent autour de moi, mais je n’ai jamais pris le temps de parler de mon rapport avec mes parents. Il y a encore plein de trucs à aborder, je ne suis pas juste un mec qui est en train de vendre du cannabis. Je suis le fils de quelqu’un, le petit frère de quelqu’un, le grand frère de quelqu’un, etc. Il faut juste un peu plus de temps. Moi, la musique, c’est ma thérapie. Comme tu le disais, dans la vraie vie, je ne dis rien. C’est en musique que je dis tout. Dans la vraie vie, je ne sais pas communiquer. Je peux le faire qu’en musique.
Dés « TP », le premier son de « Sur Ecoute : Saison 3 », tu fais référence au succès en disant qu’il « te boude un peu ». Pourtant, les superlatifs ne manquent pas quand l’on parle de toi dans la presse. Tu fais même partie des 11 rappeurs à suivre de « Booska-P » en 2021…
Moi, je veux du concret ! Je m’en bas les couilles qu’untel me dise « tu es trop fort ». Sans vouloir faire le mec, je sais que je suis fort. Des fois, il faut le dire ! Mais ce n’est pas parce que moi je le sais que les autres le savent aussi. C’est bien que les mecs du milieu le reconnaissent, car ils connaissent la musique. J’estime que quand tu connais un minimum la musique, tu ne peux pas dire que je fais de la merde. Tu peux dire j’aime ou je n’aime pas, mais pas que c’est de la merde. Il faut juste que les gens le comprennent. Mais pour moi, ce n’est pas encore du concret, dans le sens où ma vie d’il y a deux ans, c’est la même que maintenant. Il y a juste en plus des activités comme les interviews, un shooting photo, un clip ou un concert, mais ma vie n’a pas encore changé. Je suis toujours en train de me débrouiller, je suis toujours à Liège et je vois toujours les mêmes trucs tous les jours. Pour moi, si le succès c’est juste des chiffres sur YouTube, ça ne veut rien dire.
Du coup, qu’est-ce que représente la réussite pour Bakari ?
Je veux de l’oseille (rires) ! Je veux de l’oseille, mais plus pour l’aspect liberté. Ce n’est pas avoir de l’oseille pour en avoir, ça, je n’en ai rien à foutre. Quand je vais mourir, ça restera ici. Je veux juste pouvoir mettre mes proches en sécurité, être libre. Si demain je veux aller là-bas, j’y vais sans me demander si la fin de mois sera serrée. Je ne demande pas 10 millions, mais juste de quoi pouvoir vivre tranquille, sans me poser de questions pour le lendemain. Pour l’instant, ça fait 25 ans que je vis au jour le jour et demain on verra. C’est fatigant ! Liberté et paix, c’est comme ça que je vois le succès. Le reste, c’est du cinéma.
Tu parles aussi de ton rôle de « porte-drapeau » de la Ville de Liège dans « La vie est belle ». Es-tu fier de représenter le 4000 en Belgique et de le mettre sur la carte en France ?
J’ai un « 4 » tatoué sur mon bras droit ! Ça veut dire que je suis fier à fond de venir de Liège. Toute mon histoire, c’est là-bas. Tout ce que je raconte dans mes sons, c’est dans les rues de Liège et pas ailleurs. C’est là que j’ai connu tous mes amis aussi. J’ai invité plein de rappeurs de ma ville aujourd’hui à venir ici. On essaie de créer une unité entre nous, parce que ça fait trop longtemps que les gens regardent à côté. Si je suis le premier à avoir cette exposition-là, et que je peux réunir les gens, je le fais avec plaisir. J’aime Liège de ouf !
Quelle est la différence entre le rap de la Capitale et celui proposé en Cité Ardente ?
Franchement, sans vouloir créer de biffe, je trouve que le futur du rap belge est à Liège. Tous les derniers trucs que j’ai entendus et qui m’ont giflé viennent de Liège. Des mecs comme Boubz, Maka, le Uzi Gang… Je connais les sons qui sont en backstage et qui vont sortir après. Quand je les écoute, je me dis que c’est chaud. Il faut juste le temps que les gens comprennent ce qui est en train de se passer à l’Est du pays.
Dans une récente interview, tu expliquais qu’il n’y a rien (label, studio) pour exploser dans le rap à Liège. As-tu envie de faire bouger les choses ?
Bien sûr ! C’est carrément notre démarche à mon manager et moi. À long terme, on veut mettre en place des infrastructures pour venir en aide aux artistes, que ce soit pour les clips, les enregistrements, le management, etc. J’essaie déjà moi-même de ne pas faire appel à par exemple des mecs de Paris, alors qu’à côté de chez moi il y a la même chose, en mieux limite. On se connaît, ils connaissent Liège, donc ça va mieux bosser, c’est plus fluide.
Après avoir fidélisé l’auditeur et créé une communauté avec des EP courts (6 sons, un feat), à quoi devons-nous nous attendre pour la suite ?
La suite logique est que je sorte un projet plus conséquent. On bosse là-dessus, mais je ne sais pas si ça sera une mixtape ou un album. C’est sûr qu’il y aura plus de 6 sons, mais le format dépend de trop de paramètres. Je me suis déjà penché sur la partie musicale et ça ne saurait tarder !
Le rappeur Tawsen est présent pour cette release party. J’ai l’impression que tu collabores qu’avec des artistes avec qui tu es proche dans la vraie vie…
Je ne choisis pas avec qui je feat, c’est la vie qui fait ! Tawsen et moi, on n’a pas eu de manager entre nous. C’est quelqu’un de très spontané, c’est une bonne personne, c’est mon pote ! Il m’a envoyé de la force sur les réseaux sociaux alors qu’on ne se connaissait même pas. À force de parler, on s’est vu en studio et il y a eu un vrai feeling. On a fait le son tranquille, sans prise de tête, et on compte bien le défendre.
L’année dernière, tu disais que le morceau dont tu étais le plus fier n’était pas encore sorti. L’est-il aujourd’hui ?
Il vient de sortir, c’est « La vie est belle ». Je te parlais avant d’aborder des thèmes plus précis, plus concrets. Je crois que « La vie est belle » c’est le premier morceau où j’ai pu réellement faire ça. Je l’ai mis en dernier dans l’EP parce que ça prépare la suite. Ça ouvre clairement le chemin de là où je veux me diriger.
Dernière question : quand pourrons-nous voir Bakari au festival « Les Ardentes » ?
Il faut leur demander à eux… Quand tu as le temps, il faut leur passer un coup de fil (rires) ! C’est chez nous, c’est à Liège, donc s’ils sont chauds, nous, on est prêt à secouer la ville.
Bakari sera sur la scène de l’emblématique C12 de Bruxelles ce mercredi 27 octobre pour le retour du Fifty Session. Il y présentera son nouvel EP aux côtés de Sopico, le rappeur français dont l’album « Nuages » est fraîchement sorti le 14 octobre dernier. Plus d’information sur la page Facebook de l’événement.