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Le documentaire «Petites» donne la parole à la «génération Julie et Melissa»: «Je n’osais plus marcher seul»

Le documentaire « Petites », diffusé ce mardi 19 octobre sur la Trois, propose un autre regard sur l’affaire Dutroux : son impact sur les enfants de l’âge des victimes.

PourCiné-Télé-Revue

« J’avais 12 ans quand Julie et Melissa ont disparu. Ma petite sœur en a été fort marquée. Elle a commencé à avoir des troubles du sommeil, peur de s’endormir seule, des cauchemars. En 2012, elle a joué une pièce à la prison de Namur, devant Michelle Martin, et cela a été compliqué pour elle. On en a beaucoup reparlé entre nous et en en discutant avec d’autres, je me suis rendu compte que cela dépassait notre histoire familiale. De là est née la forme de récit collectif de ce film », explique Pauline Beugnies, la réalisatrice de ce documentaire, qui donne la parole à vingt-cinq personnes de cette génération d’enfants et montre comment, en quelque sorte, ils en ont été des victimes collatérales.

On se rappelle encore combien la succession d’enlèvements a contribué au climat ambiant de psychose. Du jour au lendemain, finies les balades à vélo dans le village, entre copains, la liberté, l’insouciance de l’aventure loin du regard des adultes, eux-mêmes sur le qui-vive. « Je me souviens d’avoir ressenti l’angoisse de ma maman, la panique dans sa voix. Elle me disait : si quelqu’un vient te parler dans la rue, tu laisses ton sac à dos et tu cours », se souvient Oriane, témoin du documentaire. Elle avait 5 ans à l’époque, habitait Plancenoit et ce qu’elle décrit, nous sommes des milliers à l’avoir ressenti.

L’affaire Dutroux n’est pas qu’un scandaleux fiasco policier, judiciaire, politique. Elle a modifié les rapports et instillé une défiance vis-à-vis des adultes. Les moindres gestes pouvaient être interprétés d’une manière ambiguë. La paranoïa faisait tache d’huile. Simon avait 13 ans, il raconte : « Je n’osais plus marcher seul. Dès que je voyais une camionnette blanche, je ne me sentais pas bien. Quand une voiture s’arrêtait pour demander son chemin, j’analysais comme un réflexe par où je pouvais partir avant de m’embarquer dans des explications. » Sortir était se confronter à la probabilité de tomber sur un prédateur. « L’enlèvement de Sabine sur le chemin de l’école a été très perturbant pour moi. On en parlait entre copines et on s’imaginait des choses. On était hyperstressées », complète Claire.

Ce malaise qu’ils sont nombreux à avoir vécu, ces enfants de l’époque ne l’expriment que maintenant. Le grand mérite de « Petites » est de lui avoir donné une place. Il aura fallu des années pour que cette parole-là se libère. La faute aux parents qui croyaient qu’une interdiction de bouger suffisait à les protéger ?

Paranoïa ambiante

Comment fallait-il expliquer la pédophilie à des enfants qui n’ont aucune notion de ce qu’est la sexualité ? Certes, des séances de sensibilisation avaient été organisées à l’école. Le vécu d’Oriane montre combien l’affaire Dutroux a pu aussi impacter la sphère intime. « Quand j’ai eu 8 ans, j’ai enfin compris ce qu’était plus ou moins un viol, qu’il y avait un pénis et un vagin dans l’histoire. Cela faisait trois ans qu’on me répétait que des hommes pouvaient me faire du mal, là j’ai mis un objet sur cette angoisse et du coup, c’était horrible. Dès que je me retrouvais seule avec un homme comme dans le bureau du directeur de l’école ou mon oncle ou mon parrain, j’ai imaginé les pénis de tous les hommes que je fréquentais. C’était super-perturbant et j’ai mis des années à me défaire de ces pensées », confesse-t-elle.

C’est un des aspects que pointe aussi la réalisatrice. Ou comment le matraquage des informations et le récit médiatique ont participé aux blessures. Il faut se rappeler que dans les années 1990, le poste de télé est central dans les foyers, le J.T. est la grand-messe du repas en famille et pas un journal ne se passe sans relater les soubresauts des enquêtes. « Avait-on besoin de donner tous les détails alors qu’à l’époque, les infos n’étaient pas vues comme quelque chose qu’il fallait décoder avec les enfants ? Ils y ont été exposés sans filtre », souligne Pauline Beugnies.

Pour d’autres, les traces se situent dans la perception de la société. Simon n’habitait pas loin de la maison de Dutroux, il y passait devant pour se rendre à l’école. « Me rendre compte que j’étais passé tous les jours devant ces petites filles qui agonisaient dans une cave est ce qui m’a le plus traumatisé. J’ai pris conscience de la violence du monde et de la proximité de cette violence », se souvient-il.

Des parents over-vigilants

Cette culpabilité, Claire aussi, qui a grandi à Charleroi l’a ressentie : « On passait devant la maison où les gamines étaient enfermées pour aller au supermarché et moi, enfant de 11 ans, je m’en suis voulu de pas avoir réussi à les aider… Aller à la Marche Blanche a été super-important pour me dire qu’au moins, je faisais cela pour elles. » Aujourd’hui, tous ces enfants devenus parents s’accordent à faire remarquer une « séquelle commune » : l’hyper-vigilance.

« Papa d’un garçon de 9 ans, je ne le laisserais jamais seul aller au coin de la rue. Dans un parc, je ne dois jamais le perdre de vue, j’ai un rapport sécuritaire élevé. On est moins permissifs que nos propres parents », avoue Simon. Même son de cloche chez Claire. Oriane, quant à elle, offre un éclairage intéressant : « Ce n’est pas pour rien que c’est ma génération qui a lancé le #MeToo, qu’on parle de féminisme, que la belge Sofie Peeters a été la première à dénoncer le harcèlement de rue. Elle est de la génération d’An et Eefje. Dans mon vécu, ces deux événements sont liés. » « Petites » participe donc du même mouvement de libération de la parole. « Le lendemain de mon témoignage, ma peur des araignées qui cristallisaient celle du viol a disparu. Ce documentaire est une séance de psychologie collective », affirme Oriane.

Vingt-cinq ans après la Marche Blanche, qui a été un événement cathartique pour les Belges, les chiffres des violences sexuelles sur les enfants font toujours froid dans le dos : un sur cinq en est victime. « On élève nos enfants en pensant qu’il y a un monstre au coin de la rue, mais est-ce que cela ne nous empêche pas de voir toutes les autres choses qui pourraient perturber leur épanouissement et qui sont beaucoup plus communes ? », s’interroge en conclusion Pauline Beugnies. A méditer !

« Petites », 19 octobre, 20h35, la Trois.

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